Effets toxiques du mercure à Grassy Narrows : « Ce n’est que la pointe de l’iceberg »

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Une étude publiée cette semaine – la première du genre – démontre un lien entre l’exposition au mercure et des morts prématurées au sein de la communauté autochtone de Grassy Narrows, où 90% des membres sont contaminés.

Pour la première fois, une étude confirme ce que la communauté autochtone des Grassy Narrows dans le nord-ouest de l’Ontario répète depuis des décennies : un lien existe bel et bien entre l’exposition au mercure et la mort prématurée des membres de la Première Nation.

Ces derniers souffrent depuis les années 60 des effets toxiques des tonnes de mercure déversées par la papetière Dryden Chemical dans la rivière Wabigoon-English, un lieu de pêche important pour la communauté.

L’étude, publiée lundi dernier dans la prestigieuse revue The Lanceta été menée conjointement par les professeures Donna Mergler et Aline Philibert de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et Myriam Fillion de l’Université TÉLUQ. Les chercheuses y affirment que << les individus morts avant d’atteindre l’âge de 60 ans avaient été exposés de manière plus significative au mercure entre 1970 et 1997 que ceux qui avaient vécu plus longtemps. >> Le taux de mercure est cinq fois plus élevé chez les personnes décédées prématurément, toujours selon l’étude.

La Dre Mergler, qui a travaillé pendant de longues années avec la communauté de Grassy Narrows, connaît bien les impacts du « drame » sur la vie des membres de cette Première Nation.

« Il y a des gens qui ne sont pas nécessairement alités, mais qui souffrent de symptômes liés à l’empoisonnement au mercure, comme des problèmes neurologiques, de motricité ou encore d’apprentissage, explique la neurophysiologiste, au téléphone. Le lien entre la contamination et la mortalité précoce n’est que la partie émergée de l’iceberg. »

C’est au cours d’une autre recherche qu’elle effectuait en 2016 en collaboration avec Grassy Narrows que Donna Mergler parvient à établir un lien entre la consommation de poisson contaminé et les problèmes de santé détectés au sein de la communauté. Elle démontre également que les enfants dont les mères ont consommé du poisson durant leur grossesse souffrent de troubles du comportement ou d’apprentissage.

Des données datant des années 70

C’est à cette période qu’elle apprend aussi l’existence de milliers d’échantillons médicaux prélevés par le gouvernement fédéral entre 1970 et 1997 auprès d’une centaine de membres de la Première Nation de Grassy Narrows dans le cadre d’un programme de surveillance des effets de la pollution au mercure sur les résidents.

<< C’est grâce à la persistance de la communauté que nous avons pu obtenir ces données >>, indique la Dre Mergler. << Mais il faut dire que le gouvernement a été très collaboratif par la suite >>, tient-elle à préciser.

Les conclusions « les plus surprenantes », selon elle, ont été de constater les « effets intergénérationnels » de la contamination au mercure.

« Les familles se retrouvent donc sans gagne-pain, des parents sont décédés prématurément, la communauté est en deuil, ajoute la Dre Mergler. Ça veut dire aussi qu’il y a beaucoup moins d’aînés au sein de la Première Nation, et donc moins de transmission de connaissances entre les générations. »

Ottawa accusé de « fermer les yeux »

<< C’est très triste et pénible de lire les résultats de cette recherche sur notre santé >>, dit le chef de Grassy Narrows, Rudy Turtle, en réaction à l’étude. << Ça fait des années qu’on fait face à ce problème, qu’on dénonce les effets du mercure sur notre santé et qu’on demande des compensations >>, ajoute-t-il.

À ce jour, selon lui, seulement 6% de la communauté a reçu une indemnisation financière du gouvernement, alors que 90% des membres souffrent de symptômes de contamination.

Le 3 avril dernier, Grassy Narrows a souligné une autre « petite victoire » avec la conclusion d’un accord avec le gouvernement fédéral pour la construction d’un centre de soins pour les personnes souffrant d’empoisonnement au mercure dans la communauté.

« Une étape importante » pour cette Première Nation qui revendique depuis longtemps la création d’une telle infrastructure. « C’est une bonne chose, dit le chef Turtle. Nous en avons besoin parce que jusqu’à maintenant, on n’a pas de centre de soins. »  << Ça va nous aider, c’est sûr, mais il y a encore beaucoup à faire >>, conclut-il.