Grassy Narrows : des niveaux de mercure jusqu’à 20 fois supérieurs à la norme

Depuis des décennies, les résidents de Grassy Narrows pêchent et mangent le poisson malgré la contamination au mercure de leurs lacs et rivières par une usine de pâtes et papiers dans les années 60.Depuis des décennies, les résidents de Grassy Narrows pêchent et mangent le poisson malgré la contamination au mercure de leurs lacs et rivières par une usine de pâtes et papiers dans les années 60.  Photo :  CBC/Radio-Canada

La contamination au mercure continue de faire des ravages à Grassy Narrows, une communauté autochtone du nord-ouest de l’Ontario dont le réseau hydrographique a été contaminé, il y a 50 ans, par une usine de pâtes et papiers de Dryden.

Selon le plus récent rapport sur la question, dévoilé lundi, les lacs et les rivières du système English-Wabigoon, où s’approvisionnent directement la Première Nation, ont des niveaux de mercure en croissance et jusqu’à 20 fois supérieurs à la norme.

« Fidèle aux prédictions, la régénération naturelle n’a fait que maintenir ou progresser les niveaux de mercure dans l’eau et les poissons. »— L’auteure du rapport, Patricia Sellers

L’étude révèle par ailleurs que les impacts sur l’environnement et sur la santé demeurent méconnus, alors que du mercure a été déversé dans l’eau de 1962 à 1970 et qu’aucun plan de décontamination n’a été mis en branle.

Parmi les 40 recommandations du rapport :

  • discuter sérieusement de l’assainissement de la rivière Wabigoon en incluant la Première Nation de Grassy Narrows;
  • mener un sondage alimentaire dans la réserve pour mesurer l’ampleur de la contamination au mercure;
  • étudier l’impact de l’activité forestière sur les niveaux de mercure dans le réseau hydrographique English-Wabigoon;
  • s’assurer qu’il n’y a plus de mercure qui s’écoule de l’ancienne papetière de Dryden;
  • revoir les mises en garde pour la consommation de poisson et communiquer de façon adéquate avec la communauté;
  • surveiller à long terme l’évolution des niveaux de mercure dans tous les plans d’eau près de Grassy Narrows;
  • mettre sur pied un centre de recherche dans la communauté pour mettre en oeuvre les recommandations du rapport.

Dans sa recherche, l’auteure Patricia Sellers a rassemblé le peu d’études portant sur la situation à Grassy Narrows, mais a mis en lumière que trois d’entre elles ont déjà recommandé la décontamination des plans d’eau.

Les niveaux de mercure dans certains lacs de la région sont d’ailleurs deux fois supérieurs au seuil qui oblige leur assainissement. « Les chercheurs qui ont recommandé la décontamination par le passé me disent qu’ils ne comprennent pas pourquoi rien n’a été fait depuis », affirme-t-elle.

La scientifique souligne aujourd’hui qu’un nouveau plan doit être mis sur pied. « Les recommandations du passé, même si plusieurs sont toujours valides, doivent être ajustées à la réalité d’aujourd’hui et les percées de la recherche sur la contamination au mercure », précise Patricia Sellers.

(Cliquez ici pour écouter l’entrevue avec l’avocate et alliée de Grassy Narrows, Monique Woolnough, sur un appareil mobile)

Pêcherie détruite et résidents empoisonnés

Une cinquantaine d’années après la contamination, les résidents de Grassy Narrows continuent à s’alimenter avec le poisson pêché à même le réseau hydrographique English-Wabigoon.

Les niveaux de mercure sont cependant 8 à 20 fois supérieurs au seuil considéré comme sécuritaire au Canada dans le lac Clay et la rivière Wabigoon, notamment, et sont en hausse dans beaucoup d’autres plans d’eau ciblés pour la pêche, d’après le rapport.

« Comment compter sur le poisson pour se nourrir quand les niveaux de mercure sont dangereux pour la consommation humaine? »— Le résident de Grassy Narrows Shoon Keewatin.

Avec une épicerie à une heure de route de la réserve, le poisson demeure l’aliment le plus accessible et le plus abordable pour les résidents de Grassy Narrows.

Des chercheurs ont évalué l'état de santé de plusieurs résidents de Grassy Narrows.Des chercheurs ont évalué l’état de santé de plusieurs résidents de Grassy Narrows.  Photo :  Radio-Canada/Martine Laberge

Les conséquences sont cependant plus marquées qu’auparavant, car de nombreux enfants présentent des symptômes d’un empoisonnement au mercure, aussi appelé maladie de Minamata. « Les signes sont indéniablement présents dans la communauté, mais l’impact à long terme sur les enfants et les aînés est loin d’être connu », déplore Patricia Sellers.

« Quelles sont les conséquences du mercure sur les poissons et quelles sont ensuite les répercussions pour les humains qui les mangent? », demande-t-elle.

Dans la réserve, les résidents attribuent au mercure les malformations de leurs nouveau-nés et les retards de développements de nombreux enfants. Les adultes, eux, présentent d’autres types de problèmes neurologiques, comme la perte de motricité, le fourmillement et la faiblesse des membres ou encore la difficulté à parler ou à déglutir.

Entre les mains du gouvernement

La première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, a elle-même reconnu l’existence d’un lien direct entre les problèmes de santé à Grassy Narrows et la contamination au mercure.

D’ailleurs, le rapport a été commandé par le gouvernement de l’Ontario et la Première Nation de Grassy Narrows, alors que Kathleen Wynne était ministre des Affaires autochtones en 2012. Il a été conclu en décembre 2014, mais est demeuré confidentiel jusqu’à ce qu’il soit présenté à la communauté de Grassy Narrows, la semaine dernière.

Même si un groupe de travail gouvernemental Ontario-Canada avait déjà recommandé la décontamination en 1984, il revient encore une fois à la province de mettre en oeuvre ou non les recommandations de Patricia Sellers.