Le haut taux de tentatives de suicide lié à la contamination au mercure

https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2023-08-12/communaute-autochtone-du-nord-de-l-ontario/le-haut-taux-de-tentatives-de-suicide-lie-a-la-contamination-au-mercure.php

La contamination au mercure est responsable du très fort taux de tentative de suicide dans la communauté autochtone de Grassy Narrows, confirme une étude menée par des chercheuses montréalaises. Des résultats qui valident ce que les membres de cette société du nord de l’Ontario soupçonnaient depuis des années.

Je ne suis pas sûr de comprendre. Il y aurait un lien entre mercure et santé mentale ?

Ce sont les conclusions d’une étude réalisée par la professeure émérite du département des sciences biologiques de l’UQAM Donna Mergler, cosignée par Aline Philibert et Myriam Philion, qui sont également chercheuses au Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement, ainsi que Judy Da Silva, coordonnatrice de la santé environnementale à Grassy Narrows. L’étude, publiée dans la revue Environmental Health Perspective, le 19 juillet dernier, établit un lien entre les nombreuses tentatives de suicide chez les jeunes Autochtones et la contamination au mercure qui a déjà affecté trois générations au sein de cette communauté.

Que s’est-il passé à Grassy Narrows pour qu’il y ait une contamination au mercure ?

Entre 1962 et 1975, la papetière Dryden Chemical a déversé environ 10 tonnes de mercure dans les rivières Wabigoon et English, qui s’est propagé jusqu’aux communautés autochtones de Grassy Narrows et de Whitedog, dans le nord de l’Ontario. Une fois dans les cours d’eau, le mercure se transforme au contact de bactéries et devient du méthylmercure, explique Donna Mergler en entrevue avec La Presse. Celui-ci est absorbé par les insectes, les vers et les poissons. « Il [le méthylmercure] se retrouve dans de petits poissons, qui sont mangés par de plus gros poissons, et chaque fois qu’un poisson mange plein de poissons, il y a une concentration, une amplification des niveaux de mercure. […] Nous, les humains, on est à la tête de cette chaîne alimentaire », ajoute la chercheuse.

Est-ce que cette communauté mangeait beaucoup de poisson ?

Le poisson, particulièrement le doré, était au cœur du mode de vie de la communauté de Grassy Narrows. On en mangeait pratiquement tous les jours. Or, selon Donna Mergler, « le niveau de mercure dans les poissons [après la contamination des rivières Wabigoon et English] a été parmi les plus élevés qu’on a enregistrés dans le monde, pas juste au Canada. Pour le doré, c’était extrêmement élevé ». « Le doré, entre autres, était au centre non seulement de leur culture et de leurs traditions, mais aussi de leur vie économique. Les gens, à l’époque, travaillaient à longueur d’année, il y avait 85 à 90 % qui travaillaient comme guides de pêche et dans les pêcheries », précise Mme Mergler.

Comment a-t-on pu établir avec certitude que la communauté a été contaminée par le mercure ?

L’équipe de Donna Mergler a pu avoir accès à une importante quantité de données concernant la population de Grassy Narrows. Les résultats d’une enquête menée auprès de la communauté ont pu être croisés avec des résultats de prélèvements de sang, de cheveux et de cordons ombilicaux effectués sur une période de plus de 20 ans. Précisons que la concentration de mercure dans les poissons du secteur a grimpé jusqu’à 50 fois la limite jugée sûre pour la consommation par les humains.

C’est énorme, en effet. Mais je saisis mal l’impact que ça peut avoir sur la santé mentale.

« Le méthylmercure, qui est activement transporté à travers le placenta, peut également traverser la barrière encéphalique, censée protéger le cerveau des substances toxiques. Il affecte le fonctionnement des cellules nerveuses qui contrôlent les émotions, explique Donna Mergler. La consommation de poisson de la mère pendant la grossesse et son état psychologique, les deux ont contribué à la santé mentale et à l’état émotif, et aux problèmes de comportement chez les enfants, ce qui augmente le risque de suicide. »

Ne serait-ce pas plutôt les conditions de vie de ces communautés qui auraient un véritable impact sur la santé mentale ? N’y a-t-il pas plus de suicides chez les Autochtones que les non-Autochtones ?

C’est vrai, mais dans la communauté de Grassy Narrows, les tentatives de suicide chez les jeunes sont 3,6 fois plus élevées que dans les autres communautés autochtones au pays. « lls vivent les mêmes problèmes que toutes les autres communautés autochtones. Il y a les problèmes résidentiels, le manque de soins, il y a tous les problèmes qu’on retrouve dans les autres communautés autochtones. Mais leur santé mentale est dans un pire état. Qu’est-ce qui les différencie ? C’est le mercure », affirme Donna Mergler.

Comment la communauté a réagi en prenant connaissance des résultats de cette étude ?

Selon Mme Mergler, la communauté de Grassy Narrows a dû affronter beaucoup de racisme, de discrimination et de stéréotypes face entre autres aux problèmes de santé mentale. « On a toujours attribué ça à des facteurs socioéconomiques et culturels. Mais les gens ont toujours su que ça pouvait être le mercure. On a mis des chiffres sur ce qu’ils savaient déjà. On transforme ce qu’ils pensent en preuve scientifique. Ce qu’ils disent est vrai. »