Contamination au mercure : quatre femmes partagent le titre de Scientifique de l’année

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Donna Mergler, Judy Da Silva, Aline Philibert et Myriam Fillion ont constaté les ravages du mercure dans la communauté anishinabek de Grassy Narrows.

Le prix Scientifique de l’année de Radio-Canada 2023 récompense le travail exceptionnel accompli par quatre femmes : Donna Mergler, Judy Da Silva, Aline Philibert et Myriam Fillion. Elles travaillent depuis des années à documenter scientifiquement les répercussions à long terme d’un empoisonnement au mercure subi par la communauté autochtone de Grassy Narrows, en Ontario.

 

La vie des membres de cette communauté anishinabek s’est transformée d’un seul coup.

Les résidents qui vivaient de la pêche et qui se nourrissaient de leurs prises ont perdu à la fois leur gagne-pain et leur santé. Le mercure, transformé par des bactéries en méthylmercure, sa forme la plus toxique, s’est accumulé dans la chair des poissons. Ceux et celles qui s’en nourrissaient ont eu de graves problèmes de santé.

Bien que le taux de mercure dans les cours d’eau ait diminué depuis lors et se soit stabilisé au milieu des années 1980, le contaminant n’a pas disparu. En conséquence, les résidents de Grassy Narrows ont fortement réduit leur consommation de poisson.

Quant aux problèmes de santé associés à leur forte exposition au mercure pendant les années 1960, ils se font encore sentir aujourd’hui.

Les habitants de Grassy Narrows se battent depuis des décennies pour la reconnaissance non seulement des ravages de cette contamination sur leur santé, mais aussi de l’importance d’obtenir des soins spécialisés.

L’importance de documenter

Judy Da Silva, la coordonnatrice en santé environnementale pour la communauté de Grassy Narrows, raconte que la route a été longue mais qu’une nouvelle voie s’est ouverte en 2016 lors de sa rencontre avec la chercheuse Donna Mergler.

Une des choses que Judy a comprises, c’était l’importance de documenter, de façon scientifique, ce qui arrive à sa communauté pour justement trouver des moyens d’améliorer la situation.

Une citation deDonna Mergler, professeure émérite et neurophysiologiste à l’Université du Québec à Montréal

Donna Mergler ainsi que ses collègues Aline Philibert et Myriam Fillion, professeure en santé environnementale à l’Université TÉLUQ, ont formé avec Judy Da Silva un quatuor consacré à une grande étude épidémiologique auprès des résidents de Grassy Narrows. Au fil des ans, elles ont soumis les membres de la communauté à des séries de tests pour évaluer leurs problèmes neurologiques, cognitifs et psychologiques.

Un des premiers effets du mercure, raconte Donna Mergler, c’est la perte de sensation aux extrémités des membres, dans les doigts et dans les pieds. On voyait un lien entre la consommation de poisson et la perte de sensibilité, dit-elle.

Les chercheuses se sont aussi penchées sur les problèmes de vision périphérique, de perte de coordination motrice et de mortalité précoce.

Après l’examen minutieux de données historiques sur les taux de contamination de la population, elles ont établi que la probabilité de dépasser le cap des 60 ans diminuait avec l’augmentation de l’exposition au contaminant. Judy Da Silva confirme d’ailleurs l’absence de gens très âgés dans sa communauté.

Les contrecoups de l’exposition au méthylmercure se font également sentir sur le plan social, et ce, depuis longtemps, ajoute l’épidémiologiste Aline Philibert. En effet, dès les années 1970, des scientifiques ont observé un nombre élevé de suicides chez les jeunes.

Cette sombre tendance persiste 50 ans plus tard : le nombre de tentatives de suicide est de deux à trois fois plus élevé à Grassy Narrows que dans les autres communautés autochtones au pays, où les taux de suicide sont déjà plus élevés que le taux national.

À la demande des résidents de Grassy Narrows, Donna Mergler et ses collègues ont étudié cette problématique de plus près.

En 2023, elles ont publié dans la revue Environmental Health Perspectives une étude sur trois générations (Nouvelle fenêtre) qui indique un lien entre l’exposition au méthylmercure, les problèmes émotifs et les tentatives de suicide chez les jeunes, tout particulièrement quand la mère et l’enfant y ont été exposés durant la grossesse.

La consommation par la mère de poisson contaminé expose alors le fœtus au méthylmercure. L’enfant à naître peut ainsi être exposé à des taux de mercure presque deux fois plus élevés que dans le sang maternel.

On sait que l’empoisonnement au méthylmercure peut conduire à de la détresse psychologique chez une personne. Mais on sait aussi que des facteurs socioéconomiques peuvent mener à une tentative de suicide.

Pour les chercheuses, le défi consistait à déterminer la contribution du méthylmercure à ces événements à l’aide de méthodes et d’analyses statistiques. Aline Philibert insiste : ici, il est question non pas d’une relation de cause à effet mais plutôt d’une contribution notable du méthylmercure aux tentatives de suicide.

On essaie de partager cette information avec les jeunes pour qu’ils comprennent que leurs sentiments de détresse sont légitimes. “Donnez-nous un peu de temps et on vous aidera” : c’est le message d’espoir qu’on essaie de leur donner.

Une citation deJudy Da Silva, coordonnatrice en santé environnementale pour la communauté de Grassy Narrows

Que ce soit pour des soins physiques ou psychologiques, les résidents de Grassy Narrows comptent sur l’apport de ces nouvelles données scientifiques pour faire avancer les choses.

Nos études, j’espère, permettront de mieux comprendre ce qui se passe avec l’empoisonnement au mercure [non seulement] afin d’obtenir de meilleurs outils de diagnostic mais aussi pour améliorer la prise en charge de ces problèmes de santé.

Une citation deMyriam Fillion, professeure en santé environnementale

Le gouvernement fédéral promet depuis plusieurs années la création d’un centre de soins spécialisés au sein de la communauté de Grassy Narrows. Sa construction devrait commencer l’automne prochain.